New York, jour 3 : AP et dîner web

Journée chargée ce mercredi avec la visite passionnante d'Associated Press et de son équipe multimédia, suivie d'un dîner dont le principal enseignement est que les journaux vont disparaître mais que certains journalistes vont peut-être survivre...

 

Le building d'AP se dresse le long de la 9e avenue, peu engageant. Sous la pluie qui tombe dru ce mercredi sur New York, il ressemble à un énorme blockhaus rose sale. L'intérieur n'est pas beaucoup plus riant. Arrivés au 15e étage, c'est un immense open space un peu désert et très silencieux qui nous accueille.

Nous comprenons à demi-mot que celle qui se présente comme la plus grande agence de presse au monde connaît elle aussi la crise et a connu des locaux plus peuplés.

Heureusement notre hôte va rapidement balayer ce premier contact peu engageant. Tom Kent, deputy managing editor (directeur adjoint de la rédaction) est un homme charmant qui fait un point d'honneur de mener l'entretien en français.

Quelques chiffres : Associated press, c'est 3.000 permanents à travers le monde, des bureaux à Londres, Bangkok, Mexico et bientôt Johannesburg, un budget annuel de 700 millions de dollars. Et AP produit dans tous les domaines : presse, TV, radio et web.

C'est ce dernier point qui nous intéresse avant tout évidemment. Le multimédia est avant tout entendu ici dans ses dimensions graphiques : une autre façon de raconter l'information, ou l'art du storytelling. Une équipe d'une quarantaine de personnes s'y consacre, éditeurs, infographistes, développeurs, emmenés notamment par un Français, Nicolas Rapp, (ici debout aux côtés de l'un des membres de son équipe qui travaille sur une application de suivi du futur Tour de France).

Tom Kent et Nicolas Rapp nous expliquent à quel point les journalistes d'AP ont évolué ces dernières années, et comment ils ont été amenés à prendre systématiquement la dimension multimédia dans leur travail d'enquête, comment ils ramènent désormais quotidiennement du matériau spécifique pour le web.

Et ce matériau consiste bien souvent en des chiffres. Une grande partie du journalisme d'investigation d'Associated Press s'appuie en effet aujourd'hui sur des bases de données. L'agence recueille notamment toutes les données publiques possible, s'en fait communiquer grâce aux lois américaines sur la liberté d'information. Et c'est ainsi qu'une de leurs toutes dernières réalisation est la "stress map" des Etats-Unis : basée sur les données locales du chômage, des faillites et des ménages qui ont perdu leur maison, elle décrit visuellement les effets de la crise à travers le pays et au fil des semaines. (Vous pouvez la voir par exemple ici, reprise sur le site d'un journal du Michigan). Cette carte est aussi une source d'inspiration pour de futurs reportages des journalistes dans les régions miraculeusement épargnées ou au contraire durement touchées.

Bref nous avons des choses à apprendre et des idées à piocher chez ces professionnels du storytelling. Des tendances qui devraient se confirmer demain lors de notre visite du New York Times, spécialiste du genre.

Nous en avons eu un avant-goût dans la soirée lors de notre rencontre avec Nick Bilton, designer, spécialiste des interfaces utilisateurs, journaliste, bloggueur et twitteur invétéré, qui travaille au laboratoire de recherche et développement du NewYork Times. Mais c'est bien plutôt de l'avenir du journalisme tout entier qu'il a été longuement question lors de ce dîner, organisé - et cuisiné - par Jeff Mignon (voir billet précédent).

Débat mené par l'hôte de la soirée et son épouse, Nancy Wang (spécialiste stratégie pour les médias), Nick Bilton donc, les trois Frenchies que nous sommes (même si, comme d'habitude, dans les dîners qui dépassent 4 personnes j'écoute bien plus que je ne parle) et un vrai coup de coeur pour moi : Craig Unger

C'est un grand monsieur du journalisme américain. Passé par quelques uns des plus grands titres, il est actuellement l'une des plumes de Vanity Fair. C'est aussi l'auteur de plusieurs best-sellers décapant sur la famille Bush, le dernier en date s'intitulant "La chute de la Maison Bush".

En plus d'être charmant et désarmant de gentillesse et d'humilité, il a fait souffler sur ce dîner un vent de fraîcheur qui m'a rasséréné. Il faut dire que mes voisins de table n'avaient pas un discours des plus réconfortants. Lors du précédent billet, je vous parlais des pronostics bien pessimistes de Jeff Mignon pour l'avenir de la presse. Nick Bilton et sur la même longueur d'onde, estimant peu ou prou que la légitimité des médias est en train de disparaître. Pour lui, les fonctions de tri de l'information et de hiérarchisation de celle-ci sont aujourd'hui bien mieux assurées par les réseaux sociaux : mes amis, ou les spécialistes que je choisis de suivre via leurs blogs ou Twitter, sont bien plus pertinents pour me conseiller l'info que je dois consulter.

Les grands médias sont donc, dans cette logique, amenés à disparaître. Reste que quelques journalistes sauveront peut-être leur peau dans ce naufrage : ceux qui parviendront à fédérer sur leur nom, leur plume (et grâce au nombre de leurs followers dans Twitter) un lectorat prêt éventuellement à payer pour continuer à les suivre...

Le modèle économique de ce nouveau genre de journalisme reste à démontrer, mais plusieurs des participants de ce dîner étaient prêts à tenter l'expérience.

A suivre donc. En attendant, demain ce sont deux mastodontes que nous visitons : Bloomberg et le New York Times... pendant qu'ils existent encore ;-)

2 Comments

Je ne suis pas pessimiste pour l'avenir de la presse. Je suis pessismiste pour l'avenir de certains médias qui ou bien refusent de voir la réalité en face, ou bien restent dans le déclaratif et n'agissent pas, ou bien imaginent des projets qui ne lancent jamais ou arrêtent trop vite. Le numérique c'est un marathon pas un sprint. Il existe encore un grand nombre de médias rentables voir très rentables (en particulier aux US) et ce malgré la crise. Mais cette rentabilité ne peut pas être l'arbre qui cache la forêt. En dix ans, notre univers média a radicalement changé. Dans dix ans, il aura une tête encore plus radicalement différent. Laquelle ? Nous le découvrirons ensemble. Mais le modèle économique qui soutient les médias est profondément remis en cause. Le constater n'est pas être pessismiste... c'est, au contraire, se préparer à changer.

Et beh ...pas optimiste tout ca !! Une belle initiative à mi chemin entre le documentaire et l'info...celle de Tristan Mendes France (http://www.blogtrotters.fr/) et celle de Sandeep Junnarkar, journaliste américain (http://livesinfocus.org/)...Ca redonne un peu d'espoir !!!!!!!!Bonne route !